Le Festival Halloween Disney : Entretien avec les Scénographes Jérôme Picoche et Thomas Gallou

À l’occasion du Festival Halloween Disney, Disneyland Paris se transforme en un vaste terrain de jeu pour esprits et fantômes grâce aux fabuleux décors imaginés par nos Scénographes. Mais comment font-ils pour plonger ainsi les visiteurs dans l’esprit de la fête ? Jérôme et Thomas nous dévoilent quelques-uns de leurs secrets.

En quoi consiste le métier de scénographe à Disneyland Paris ?

Thomas Gallou : Un peu comme un chef décorateur de théâtre ou de cinéma, notre travail consiste à créer des décors pour les spectacles et les parades de Disneyland Paris. Mais en plus, dans le mot « scénographie », il y a l’idée de conception. Il s’agit, littéralement, d’ « écrire une scène ». On s’appuie sur le travail du Metteur en Scène pour créer un espace qui va accompagner le concept qu’il aura imaginé. Il y a donc tout une phase de réflexion afin de déterminer comment va s’articuler le spectacle, que ce soit en termes de jeu d’acteur ou de chorégraphies pour un spectacle scénique, ou en termes de volumes pour une parade.  Il s’agit vraiment de composer avec l’espace.

Que représente pour vous la saison d’Halloween ?

Jérôme Picoche : Halloween est toujours un moment très intense de l’année. C’est une période que je connais bien. Depuis 1997, où nous avons lancé le Festival, j’en suis à ma 23e édition ! Au cours du temps, les approches ont pu changer, mais la décoration reste un élément essentiel de cette célébration. Chaque année, nos visiteurs attendent impatiemment son retour tant pour se replonger dans cet esprit si particulier que pour découvrir les nouveautés que nous leur avons réservées.

C’est en effet un plaisir de retrouver les décorations traditionnelles de Main Street, U.S.A. et de Frontierland.

JP :Dès leur arrivée sur Main Street, U.S.A, les visiteurs sont plongés dans l’atmosphère d’Halloween. Nous avons transformé la rue comme si des fantômes l’avaient envahie, avec toutes sortes de personnages et des éléments floraux et végétaux liés à l’automne. La décoration raconte une histoire bien particulière, que l’on retrouve à travers les costumes de nos fantômes, d’inspiration victorienne, qui s’intègre parfaitement dans l’esthétique du lieu.

TG : À Frontierland, en plus des hommes-citrouilles, on retrouve cette ambiance mexicaine inspirée du film Coco que nous avions imaginée en 2017. Les responsables de la saison souhaitaient ajouter une nouvelle histoire, et on m’a donné carte blanche pour imaginer un décor qui accompagne la sortie du film tout en s’inscrivant dans l’univers de Frontierland. Nous avions déjà une zone typiquement Halloween du côté de Phantom Manor, et nous souhaitions développer quelque chose de différent sur une partie du Land qui était moins utilisée à cette occasion, autour de Fuente del Oro Restaurante, dont le thème mexicain correspondait exactement à celui du film. Je me suis donc plongé dans l’esprit des fêtes mexicaines, et j’ai développé tout un décor à partir d’une histoire que j’ai imaginée et qui m’a permis de relier tous les éléments entre eux. De là sont venus les alebrijes, ces créatures fantastiques typiques du folklore mexicain, et ces épouvantails qui bordent l’allée (que nous appelons entre nous la « calle latina », la rue latine). Ce travail s’est accompagné d’une réflexion sur la manière dont a été construit Frontierland, notamment au niveau les matières utilisées, afin d’intégrer au mieux nos décors. D’où ce côté très artisanal, façon papier mâché.

Comment avez-vous imaginé ces alebrijes, dont la plupart sont propres à Disneyland Paris ?

TG : Quand on a décidé de créer cette histoire mexicaine, le film n’était pas encore terminé. Nous avions juste connaissance de sa thématique. Nous avons travaillé avec Pixar, pour que nos univers puissent s’accorder, tout en gardant une certaine marge de manœuvre. Quand le film est sorti, nos univers se sont croisés, et nous avons réalisé que nos recherches étaient allées dans la même direction. À partir de là, nous avons décidé avec Pixar d’évoquer plus précisément le film en intégrant l’alebrije de Dante et les guirlandes façon « papel picado », comme on les voit dans le générique d’ouverture.

Cette saison est particulièrement riche en décors.

JP : En effet, globalement cette année, il y en a plus que d’habitude, notamment du côté de Cottonwood Creek Ranch que nous n’avions pu utiliser depuis quelques temps.

Certains d’entre eux ont d’ailleurs évolué, comme celui du Théâtre du Château, qui accueille Ursula et ses murènes.

JP : Tout a commencé l’année dernière, pour le spectacle « Attention… Méchants ! ». Il y avait une partie de la scène dédiée à Ursula dans son coquillage, et toutes sortes de Méchants de l’autre côté. Cette année, pour accueillir les apparitions furtives d’Ursula, j’ai fait retraiter les différents éléments de décor comme les ronces dans des tons bleutés pour créer une sorte de croisement entre l’univers aquatique et Halloween. Le sol a été aussi traité comme un dallage, ce qui fait du Théâtre du Château une sorte de terrasse du Château de la Belle au Bois Dormant. Enfin, nous avons eu la possibilité d’animer le miroir magique grâce à l ‘intégration d’un écran LED qui donnera plus de vie et de présence à cet élément essentiel du décor.

Parmi les nouveautés de cette année, on compte le Point Selfie de Meet Mickey Mouse – Rencontre avec Mickey, revisité façon Halloween.

JP : Pour cette rencontre avec Mickey et ses amis en costumes d’Halloween, nous avons imaginé un mélange entre une ambiance un peu nocturne, étrange, et des couleurs plus joyeuses que l’on retrouve notamment dans le décor situé derrière les Personnages. Nous avons repris les codes traditionnels de la fête sous un angle à la fois familial et convivial.

Une autre nouveauté attend les visiteurs à Studio Theater, où ils vont pouvoir rencontrer plusieurs Méchants Disney dans un décor inédit.

TG :   Qui dit « Halloween » dit « Méchants Disney ». C’était l’occasion idéale pour les voir réunis. Au début, nous sommes partis sur l’idée de miroir, comme celui de la Méchante Reine de Blanche Neige et les Sept Nains, et nous avons travaillé sur le côté lugubre et mystérieux de ses reflets. Nous avons combiné cela avec une ambiance joyeuse en ajoutant des couleurs plutôt pop, qui vont souligner le côté festif d’Halloween.

Le défi, c’était de trouver des éléments graphiques qui conviennent à plusieurs Méchants en même temps, sans que les couleurs de l’un ou de l’autre ne dominent – chacun d’entre eux à un caractère très marqué, et il ne fallait pas créer de jalousies !

Thomas, avant de venir à Disneyland Paris, tu as réalisé les décors de plusieurs escape games. En quoi cette expérience t’a été utile pour concevoir des décors immersifs comme celui-ci ?

TG : Le principe de l’escape game, c’est justement de se retrouver plongé dans un univers, et de prendre part à une histoire en résolvant des énigmes. C’est très proche de ce que nous faisons à Disneyland Paris. Nous avons toutes sortes d’univers à notre disposition, inspirés notamment des films Disney, sur lesquels on va greffer une nouvelle histoire ou que l’on va traiter sous un angle différent. Pour ce faire, on dispose de toutes sortes de techniques d’immersion, et cela est d’autant plus facile ici que nous sommes dans un lieu fermé. Studio Theater est une scène dernier-cri qui dispose de toutes sortes d’outils techniques – projections au sol, sur les côtés, écrans LED, etc. – pour créer un univers. Cela demande une grande collaboration avec les équipes d’animation, lumières, effets spéciaux et musique pour rendre ce décor vivant. Tout est fait pour que les visiteurs se retrouvent plongés dans l’antre des Méchants !

Comment créé-t-on des décors comme ceux-là ?

TG : Chaque projet est différent, et il y a autant de méthodes que de personnalités, tant chez les Metteurs en Scène que chez les Scénographes. Mais ce qui ne change pas, c’est le fait de tous nous retrouver autour d’une idée forte. Ce peut être une idée graphique ou bien une idée de mise en scène, une musique, une lumière ou autre, et tous les autres éléments du spectacle vont s’articuler autour. Notre travail, c’est de prendre cette idée, de l’interpréter en termes d’espace, et de la rendre réelle. Au cours de la conception, on peut partir dans des directions différentes, mais au final, tout converge vers le même résultat. Le Metteur en Scène est en quelque sorte le capitaine d’un navire dont nous serions les voiles. C’est un véritable travail d’équipe, qui implique aussi les musiciens, les lumières et les équipes techniques.

JP : Comme le dit Thomas, tout part d’une idée forte. Prenez le dragon qui est dans La Cour du Château. C’est purement une idée décorative, née de la rencontre entre l’univers de Fantasyland et celui du film. C’est comme si les ronces que l’on trouve dans l’histoire de La Belle au Bois Dormant avaient envahi la cour en prenant la forme d’un dragon. Cette idée de métamorphose est au cœur d’Halloween à Disneyland Paris, à l’image des citrouilles qui se transforment en hommes-citrouilles et du miroir du Théâtre du Château qui prend vie devant nos yeux.

À partir de là, comment donnez-vous corps à ces idées ?

TG : Au sein de l’équipe des scénographes, chacun a sa méthode, qui s’appuie sur son parcours et sur ses points forts. Moi, j’ai un côté geek, nerd, issu de ma culture de jeux vidéo. Je fais d’abord un grand travail de recherche, avec des croquis à la palette graphique, ou encore du collage ou du montage. Tout dépend des thèmes. Pour Coco, j’avais fait des croquis couleur sur de grandes feuilles. Je peux faire 15 ou 20 essais avant d’arriver au dessin final.

JP : Un bon croquis peut vous donner toutes les informations et les émotions dont vous avez besoin. Puis je passe à la maquette. C’est une étape essentielle, qui nous vient du monde du théâtre. Celle du Théâtre du Château que j’ai réalisée l’année dernière était tout simplement en carton. Il y a évidemment beaucoup d’avancées technologiques qui permettent de modéliser un décor, mais ce qui prime, c’est l’idée.

TG : La 3D, c’est juste un outil. De même que la gouache, l’aquarelle ou Photoshop. On continue à faire des maquettes de travail, des maquettes en blanc. Il n’y a encore pas si longtemps, on les faisait en carton-plume, avec différentes pâtes. Aujourd’hui, on peut aussi réaliser des maquettes de décors en utilisant une imprimante 3D. Entre la main du maquettiste et l’imprimante, la finition sera différente, mais le résultat sera similaire. Tout dépend de ce que l’on recherche. La 3D peut s’avérer particulièrement intéressante pour les chars de parade, dans la mesure où elle permettra aux services techniques de visualiser l’ensemble d’un char, y compris sa structure interne.

Cela permet en effet d’envisager l’intégration de la technologie.

JP : Absolument. C’est indispensable. Parfois, ce n’est pas évident d’intégrer les éléments de machinerie dans un décor. Le Théâtre du Château comporte de très nombreux éléments techniques, notamment des machines à bulles et beaucoup de lumières. Or, ce n’est pas un théâtre fermé. On peut le voir à 360°. Il faut donc trouver des emplacements et des moyens de camoufler le mieux possible toute cette technique.

Comment les décors saisonniers s’intègrent-ils dans l’esthétique des Lands qui les accueillent ?

JP : À Disneyland Paris, selon le Land, il y a des degrés de finition différents. La décoration d’Halloween est vraiment emblématique de cette diversité de styles et d’approches. C’est très intéressant. À Frontierland, on peut rester un peu brut. C’est l’univers des cowboys, la nature, le bois, avec des citrouilles et d’autres éléments qui ont un aspect artisanal, voire rugueux. Alors que sur Main Street ou à Fantasyland, on a des niveaux de finition très poussés, avec des objets très travaillés. Les citrouilles que l’on trouve sur Central Plaza ou à Town Square ont des ponçages et des vernis très spécifiques pour correspondre à l’esprit du lieu.

Où et comment sont construits ces éléments de décor.

JP : À l’Atelier Décoration de Disneyland Paris, on réalise des accessoires ou on modifie des éléments de décor, mais ces derniers sont fabriqués dans des ateliers extérieurs. Pour Halloween, nous travaillons beaucoup avec des entreprises françaises, mais également avec la Hollande, l’Allemagne, ou encore l’Italie.

Une fois les décors construits et stockés, il faut les installer. Comment cette étape décisive se passe-t-elle ?

TG : Une partie de notre travail consiste à assurer le suivi des décors pendant toute la période d’installation. D’autant que pour Halloween et Noël, elle est assez courte. On doit donc travailler de nuit. Il faut veiller à la bonne mise en place de ces décors car il y a toujours des réglages de dernière minute. On doit vérifier qu’ils ne gênent pas le passage des visiteurs, une file d’attente ou autre chose, et on est là pour rectifier si besoin. Nos décorateurs internes sont aussi là pour donner un coup de peinture sur une éraflure ou faire des réparations au cas où un élément aurait souffert pendant le transport. Ce sont des moments magiques, car c’est là, en situation, que nos décors prennent vie !

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La Rédaction

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