Alors que plusieurs spectacles font leur grand retour à Disneyland Paris, Isaure et Caroline nous font découvrir un métier moins connu et pourtant essentiel à la bonne marche de ces productions scéniques.
Machiniste cintrier, en quoi cela consiste ?
Isaure : C’est un métier qui comporte de multiples facettes. Notre rôle consiste à gérer le montage et le démontage des décors et des structures de scène sur les parcs et lors d’événements, à mettre en œuvre les mouvements des décors et des accessoires durant les représentations, et à entretenir tous les éléments de machinerie, que ce soit autour des scènes ou dans les cintres (le haut du cadre de scène, d’où est manœuvrée une partie des décors). C’est de là que vient l’appellation de notre métier.
Caroline : Nous nous occupons également de tout ce qui relève de la sécurité des artistes, en veillant au respect des procédures opérationnelles.
Comment avez-vous découvert ce métier pas comme les autres ?
Isaure : Nous avons toutes les deux des parcours très différents. En ce qui me concerne, je l’ai découvert en faisant un stage dans un lycée qui proposait ce type de formation. Par la suite, j’ai obtenu mon diplôme de Technicien des métiers du spectacle option machiniste constructeur, ainsi que mon CAP d’Accessoiriste. Suite à cela, j’ai exercé dans différents théâtres parisiens, tout en travaillant comme intermittente pour Disneyland Paris pendant huit ans avant de décrocher mon CDI il y a trois ans.
Caroline : Pour ma part, j’y suis venue un peu plus tard. J’ai commencé par des études classiques jusqu’au bac avant de me spécialiser en anglais. J’ai essayé de nombreux métiers différents car je n’avais pas de projet professionnel bien défini. Au bout d’un moment, j’ai voulu faire quelque chose qui m’intéresse vraiment et je me suis renseignée sur des formations à des métiers manuels, car je voulais travailler de mes mains. C’est comme cela que j’ai découvert le CFPTS, le Centre de Formation Professionnelle aux Techniques du Spectacle et que j’ai pris un congé individuel de formation de six mois en construction de décors, un métier très axé sur la menuiserie. J’ai ensuite travaillé pendant quelques temps comme intermittente avant de tomber sur une offre d’emploi de Disneyland Paris dans la machinerie. Je n’avais pas d’expérience spécifique dans ce domaine, mais la description du poste m’a vraiment donné envie. C’est comme cela que j’ai postulé et que j’ai été embauchée. C’était il y a 11 ans.
Il y a peu de femmes machinistes. Comment avez-vous été accueillies en tant que telles à Disneyland Paris ?
Caroline : Je dois dire que j’ai été très bien accueillie par mes collègues. Quand je suis arrivée, nous n’étions que trois femmes machinistes en CDI. Depuis, les choses ont sensiblement évolué. Au fil du temps, il y a de plus en plus de femmes à Disneyland Paris, y compris dans notre département.
Isaure : Notre direction n’hésite pas non plus à nous confier des postes de responsabilité. En plus de notre rôle de Machinistes, Caroline et moi sommes également Régisseuses plateau remplaçantes. Sur chaque scène des Parcs, il y a un ou deux Régisseurs plateau, qui sont en quelque sorte les chefs d’équipe machinerie, et quand ils sont en repos, c’est à nous d’assurer le suivi.
Pouvez-vous nous citer quelques spectacles emblématiques sur lesquels vous avez travaillé ?
Caroline : Quand je suis arrivée à Disneyland Paris, j’ai travaillé sur Animagique (2002), Moteurs… Action ! Stunt Show Spectacular (2002) et Disney Junior Live on Stage ! (2003). Puis il y a eu Disney Dreams ! (2012), sans oublier les spectacles de The Chaparral Theater comme Chantons La Reine des Neiges (2015) ou encore La Forêt de l’Enchantement : Une Aventure Musicale Disney (2016). Au cours du temps, on a vu l’offre Spectacle s’enrichir de plus en plus jusqu’à aujourd’hui. Et avec les nouvelles franchises, cela continue de plus belle. Pour nous, c’est très agréable dans la mesure où cela nous permet de travailler dans des univers complètement différents.
Quels souvenirs gardez-vous de ces spectacles ?
Isaure : Je prendrais l’exemple d’Animagique, sur lequel j’ai également travaillé. Ce qui était amusant, c’était d’être sur scène, mais invisible, dans la mesure où nous portions des combinaisons et des cagoules pour ne pas être vus quand le spectacle passait en lumière noire. Il y avait également des changements de décors rapides. C’était passionnant. Comme nous étions dans le noir, il fallait faire attention les uns aux autres, et être synchro par rapport à la musique et aux marionnettistes.
Caroline : Dans la plupart des spectacles, il y a une chorégraphie qui est visible par le public, mais en même temps il y en a une autre, cachée en coulisses, celle des machinistes, qui font en sorte que tout se déroule correctement et que tout le monde soit en sécurité. D’habitude, ce sont les Régisseurs qui nous donnent les tops pour tel ou tel mouvement. Mais Animagique avait une telle force musicale qu’on pouvait travailler d’oreille pour changer les décors et trouver les bons emplacements afin de donner les accessoires au bon moment, sans gêner le passage des artistes.
Quel est le rôle de la technologie dans votre travail ?
Caroline : Tout dépend du spectacle, mais on peut dire globalement que la technologie est de plus en plus présente. Dans une production comme La Forêt de l’Enchantement, tout était encore très manuel. À l’inverse, pour Marvel : L’Alliance des Super Héros (2018), la salle avait été complètement rénovée et nous nous sommes formées aux nouvelles machines, aux nouvelles technologies en même temps qu’elles arrivaient.
Isaure : Pour autant, même si les changements de décors sont de plus en plus automatisés, il nous faut toujours rester au plus près de la scène pour pouvoir intervenir immédiatement en cas de besoin. Pour cela, nous utilisons des poignées de sécurité de type « deadman » qui stoppent le mouvement d’un décor dès qu’on les lâche. C’est un vrai plus pour la sécurité des artistes. Le travail est ainsi réparti entre un technicien en régie, qui a une vue globale du spectacle et gère les changements de décors depuis une console, et les machinistes près de la scène, au plus près de l’action.
Comment vous répartissez-vous sur les différents spectacles ?
Caroline : C’est variable. Actuellement, on passe beaucoup de temps sur Le Roi Lion et les Rythmes de la Terre car nous sommes en répétition et qu’il y a beaucoup de choses à préparer. Mais la plupart du temps, j’ai l’habitude de travailler sur plusieurs spectacles à la fois.
Isaure : Certains collègues préfèrent rester sur une seule production, ce qui permet de garder une unité dans l’équipe. Mais le fait de bouger nous permet d’être formé.e.s sur un maximum de spectacles différents afin de pouvoir remplacer quelqu’un si besoin.
Combien de machinistes compte la destination ?
Isaure : Une cinquantaine en CDI, et avec les intermittents, on arrive à une soixantaine. C’est un chiffre qui a énormément augmenté ces dernières années, au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de spectacles.
Pouvez-vous nous parler des différents spectacles sur lesquels vous travaillez actuellement, à commencer par Disney Illuminations, qui vient tout juste de faire son retour.
Caroline : Pour nous, c’est un spectacle un peu particulier dans la mesure où il se déroule en extérieur. Sur cette production, nous sommes deux machinistes. Nous nous occupons de la vérification et de l’allumage des systèmes qui contrôlent les jets d’eau, en collaboration avec les techniciens lumière et les équipes de maintenance. Nous nous occupons également de l’étoile qui scintille tout en haut de la tour principale du Château de la Belle au Bois Dormant, toujours en lien avec les autres techniciens du spectacle. Tout est géré depuis la régie en face du Château, mais il faut être sur place pour mettre en route les systèmes. On met aussi en place l’écran qui bouche la porte du Château pour permettre la projection des vidéos.
Il y a également La Fabrique des Rêves de Disney Junior, qui entame sa deuxième saison.
Isaure : Ce spectacle associe une approche manuelle et une approche plus technologique. L’ouverture de la porte du sas où apparaissent les Personnages, ainsi que l’activation des différents éléments mécaniques comme les engrenages du décor sont gérés depuis une console, tandis que les accessoires comme les boules, le grand boa, et toutes les ouvertures de porte pour les entrées des Personnages Disney sont gérés manuellement.
Et il y a enfin Le Roi Lion et les Rythmes de la Terre.
Caroline : Sur ce spectacle, nous sommes très lié.e.s aux acrobates dans la mesure où c’est nous qui gérons leurs agrès – mâts, bungees, sangles et spirales. On vérifie tous ces éléments tous les jours et pendant le spectacle, on veille sur eux pour s’assurer qu’ils soient bien en sécurité.
Isaure : On doit être constamment présentes à leurs côtés, y compris lors des répétitions. Les danseurs peuvent répéter sans nous, mais les acrobates, eux, ont besoin de nous à chaque instant, de la même manière qu’un chanteur ne peut se séparer de son ingénieur du son.
Comment s’organisent vos journées ?
Isaure : Une journée classique s’étend de 9h30 à 18h30. On commence par le nettoyage du plateau, avant de passer à la vérification de l’ensemble de la machinerie. On fait fonctionner une fois tous les éléments de décor sans musique, sans effet, pour écouter s’il y a des bruits suspects, et s’assurer qu’il n’y a pas de problème de fluidité dans les mouvements. On vérifie également les agrès de la salle d’échauffement des acrobates, puis on lance un spectacle à vide, sans artiste, uniquement avec la technique, les effets spéciaux et les lumières, pour vérifier que tout fonctionne et s’enchaîne naturellement. À partir de là, la scène est ouverte aux artistes pour qu’ils fassent leurs échauffements, puis la journée s’enchaîne avec les spectacles. Et une fois qu’ils sont tous terminés, que tous les artistes sont partis, nous nous occupons de remettre la scène en ordre.
On sent chez vous un lien très fort avec les artistes.
Isaure : De par notre travail, nous sommes en effet très proches des acrobates, mais aussi des Personnages Disney, qui alternent entre la pénombre et la lumière, comme à Studio D, et qu’il faut de ce fait guider à travers l’obscurité des coulisses. C’est une véritable relation de confiance entre eux et nous.
Caroline : Comme eux, nous sommes là pour faire un bon spectacle. Et quand on collabore à de tels projets, on est tous solidaires, on partage le même enthousiasme, pour faire en sorte que tout se passe au mieux.
Êtes-vous parfois amenées à intervenir dans la création d’un spectacle ?
Isaure : Cela arrive parfois en effet. Il faut dire que nous intervenons dès que le théâtre est prêt et que les décors sont installés sur le plateau pour y être montés.
Caroline : C’est à ce moment qu’on est amenées à réfléchir sur la manière dont on va opérer sur le spectacle.
Isaure : Parfois certaines choses marchent sur le papier, mais pas forcément en pratique. C’est le moment de changer, d’améliorer certains détails pour rendre possible la vision des créateurs du spectacle, et c’est là que nous pouvons intervenir.
Caroline : Sur Le Roi Lion et les Rythmes de la Terre, certains acrobates évoluent sur des bungees, des agrès élastiques, et sur un de leurs mouvements, ils doivent monter quasiment jusqu’aux cintres, avant de se lâcher. Pour cela, il fallait trouver un moyen d’être sûr qu’ils arrivent à la bonne hauteur pour qu’ils puissent exécuter ce mouvement sans risque. Alors, pour les rassurer et en même temps assurer leur sécurité, nous avons eu l’idée de mettre en place un élément qui leur garantisse qu’ils sont arrivés à bonne hauteur. L’équipe Machinerie a conçu ce que nous avons appelé les « boîtes bleues », de petites boîtes en bois fabriquées par un de nos collègues et dans lesquelles se trouvent des LED. Quand les acrobates ont ces LED en face des yeux, ils savent qu’ils sont à la bonne hauteur. C’était compliqué à mettre en place avant qu’ils ne soient là parce qu’il fallait vraiment pouvoir tester la chose en direct, avec eux, mais au final, cela a grandement facilité le travail de tous.
Comment ressentez-vous la reprise des spectacles à Disneyland Paris ?
Caroline : C’est une joie immense. Il y a déjà des réouvertures de spectacles emblématiques, et de nouvelles productions vont très bientôt être lancées autour du 30e anniversaire. Nous sommes très heureuses de voir revenir des projets qui ont été arrêtés à cause de la pandémie. Certains spectacles ont même dû être brusquement interrompus à cause de cela et n’ont même pas pu avoir les honneurs d’une dernière représentation. C’est dommage. Fort heureusement, aujourd’hui, c’est l’enthousiasme qui règne au sein des équipes Spectacle par rapport à tout ce qui se passe et tout ce qui se prépare. Parce que, comme on le dit entre nous, « ce qu’on aime, c’est faire le show ! » C’est pour cela qu’on est là !